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Cette saison

Anna Gaïotti

Résidence de création | Février 2025  

Anna Gaïotti est performeuse, musicienne, claquettiste, écrivaine. Elle fabrique une écriture chorégraphique et musicale qui témoigne de l’expérience de son corps dans la danse, dans sa vie intime lors de ses voyages et immersions sur les frontières. Elle vise à confronter la question de l’émancipation sexuée, les doutes face aux normes, la relève de la fiction sur le réel, la construction et déconstruction d’identités personnelles et communes, la vie face à la mort. Le corps est d’abord un support pour publier une poétique, une façon de militer, endossant humanités et inhumanités. Ses écrits sont une sorte de regard ethnologique et sociologique sur la question des survivances des danses et des musiques, des transitions et transformations dont les peuples et les êtres font preuve, sujets aux bouleversements d’un environnement. Ainsi elle s’immerge dans le milieu de la prostitution (Zürich), et plus tard aux frontières éthiopiennes et sud soudanaises au sein des peuples Hamar et Nyangatom. Elle passe par le prisme de son corps et de sa propre réalité érotique pour amener une écriture qui oscille entre témoignage et fiction, nourrie par les croyances auxquelles elle se confronte. Ses écrits sont publiés chez l’Échappée Belle et Artderien. Elle dialogue et crée avec des musiciennes des scènes expérimentales noise.


ENTRETIEN

1) F comme ?

Feu. Plusieurs mots me sont venus. Folie évidemment mais je n’arrive pas à définir ce mot. Femme, force, fable et farce. Feu, c’est aujourd’hui le mot que je peux employer pour la préciosité de ses fonctions multiples, et pour sa forme de résilience.

2) Quelle est la genèse du projet ?

Ce projet est né lorsque j’ai relu La Rabbia de Pier Paolo Pasolini. C’était un moment où je réfléchissais à la disparition des corps, je remettais en question la danse et ma profession d’artiste, je remettais en question la création même. J’étais déçue de ce qui se passait dans nos mondes au moment de la pandémie covid-19. Beaucoup de corps ont disparu dont nous n’avons pas parlé, sujet étouffé des suicides, des gens qui se sont perdus parce qu’il.elle.s n’avaient pas de ressources pour survivre face à l’isolement et la puissance effrontée du virtuel. En relisant ce texte je me suis demandé : "Qu’est-ce que la rage ?". Je connaissait la maladie de la rage que j’ai côtoyée en Ethiopie. Puis il y a eu les émeutes suite à la mort de Naël, et dont l’événement est resté sans réflexion alors qu’il reflétait une réalité cruelle des situations de corps et d’esprit réprimés, sans trop d’issue. Émeuter, brûler, ou être isolé.e et stigmatisé.e dans des quartiers pauvres, peu importe, l’Etat français ne donne aucun avenir. Mais la rage est ineffable. Elle évoque des impressions abstraites, elle rappelle notre sentiment fasse à l’injustice, mais elle est ineffable. Elle est aussi irréversible. Qu’un mot me sorte des mots, c’est ce qui m’a donné envie de chercher de nouveau une danse et une musique.

3) Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?

J’aime aller travailler dans des lieux différents, et particulièrement des lieux où il y a une vie humaine qui traverse les murs et me traverse au travail. Tel est le cas dans les lieux autogérés où je suis depuis toujours. Une vie humaine que je rencontre en même temps que je cherche et écris et qui prend sens dans le présent. La première fois que j’ai été au 3 bis f, j’ai été touchée par le fait qu’un lieu de création artistique soit au centre d’un hôpital psychiatrique, et communique de manière poreuse et vaporeuse dans la vie des personnes qui vivent là, qui viennent là. J’ai apprécié que le 3 bis f porte une attention particulière à être une bibliothèque vivante et mouvante pour les un.e.s et les autres. L’art ne doit pas être détaché de la vie. Sans être une thérapie, l’art et le processus de création pense et panse, au mieux sans psychologie.

4) Comment travailles-tu ?

J’oscille entre un travail très solitaire d’écriture et un travail de collaboration et de création avec d’autres artistes que j’invite dans mes projets. Il y a l’écriture, permanente dans ma vie, qui me fait rentrer et sortir de moi. Je est constamment en sursis et en survie, car je pourrais être elle et il, il et elle peuvent être moi. La fiction mord la réalité pour lui donner des couleurs et des humeurs. Ma réalité est la bataille d’une femme prise dans des ambivalences et des ambiguïtés. Ma réalité est comme du schiste, une pierre friable qui se forme et prend corps grâce à tout ce qui la traverse. Puis, quand j’initie un projet chorégraphique, musical, j’aime le faire avec d’autres. J’ai envie de me confronter à des écritures musicales et de corps qui ne sont pas les miennes et qui me rendent curieuse. J’ai envie de rencontrer les gens avec profondeur, devenir complice pour un certain temps et négocier ma pensée. Autant que j’amène ces personnes dans mon univers, mes questionnements, mes brèches. C’est éprouvant mais extrêmement riche.

5) Comment cohabites-tu avec ta folie ?

La folie, telle que je la nomme, nous sauve. Elle me sauve dans un monde univoque et mortifère de pouvoir. Je vois pas la folie non pas comme un manque ou une désorientation, je la vois comme la faculté à se faire un monde dans le monde. L’enjeu est de réussir à faire cohabiter les mondes et évoluer sans trop d’affect, sans s’isoler et sans déception. La folie est une dissidence, pour soi et pour les autres. Ma folie est d’être habitée par la mort. Ça fait peur pour certain.e.s, or la mort me rassure, me pousse à regarder les choses en face. Je danse pour les morts et j’écris pour les vivants.

6) Un livre, un film, un podcast avec lequel tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ?

De butte en blanc je dis : Dans l’arène ennemie, textes et entretiens 1966 - 1999, de Monique Wittig, parce qu’il est (un peu trop) présent pour RAGE.

Anna Gaïotti - RAGE
Mercredi 5 février à 10h30
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Anna Gaïotti - RAGE
Vendredi 7 février à 17h
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