Le 3 bis f est un lieu de création hors norme, une fabrique artistique reposant sur l’altérité, déjouant les codes des relations sociales conventionnelles qui imprègnent toutes les couches de la vie des sociétés dans lesquelles nous vivons, du moins dans l’Occident contemporain. Un lieu qui s’est construit en référence à la « singularité absolue de la parole du fou » dont parle Louis Althusser, dans laquelle la pensée, même folle, fonde le sujet. C’est dans le contexte qui a suivi les années 60-70, celles de la construction de l’arsenal philosophique d’un nouveau projet de société reposant notamment sur la critique des institutions fondées sur le filtrage, l’exclusion et l’assujettissement, que le 3 bis f a vu le jour et grandi. Après avoir été l’ancien pavillon de force pour femmes depuis la fin du XIXème siècle, celui de l’enfermement de celles que l’on appelait des « agitées », le 3 bis f est devenu un symbole de cette fin du dedans et du dehors dont parlait Michel Foucault dans Les Mots et les choses en 1966.
Aujourd’hui, le centre d’arts 3 bis f est un lieu de mémoire autant qu’un lieu de création. Situé dans l’ancienne unité fonctionnelle du même nom — avec la référence au f de "femmes" – il s’inscrit pleinement dans le Centre hospitalier Montperrin et est porteur de cette double appartenance, entre création artistique et soin. Le 3 bis f est un espace que l’on peut qualifier d’intersticiel : il a vocation à être médian entre l’acte de créer et celui d’accueillir la fragilité psychique, personnes hospitalisées ou en parcours de soin mais aussi d’autres non soignés mais néanmoins vulnérables, nous tous.tes, peut-être. Ce que l’action du 3 bis f met en œuvre et propose aux publics les plus divers réunis dans ce lieu singulier – artistes, patient.e.s, soignant.e.s, habitant.e.s, visiteurs.ses… – c’est la capacité à faire expérience. Nos modes de vie contemporains ont bien souvent asséché cette capacité. Faire expérience, au sens d’être en rapport avec le réel, adopter une position d’apprenant, récupérer un agir possible, quelle que soit son statut, sa position, sa fonction. Créer, c’est apprendre de soi et des autres, d’un monde en mouvement, c’est toujours un déplacement vers l’inconnu.
RÉSIDENCES DE RECHERCHE & DE CRÉATION
En arts vivants, le 3 bis f accueille chaque saison dans sa salle de spectacle ou dans ses autres espaces de travail (studio Guiraud, jardin), une douzaine de d’artistes et équipes artistiques, avec des durées variables, en moyenne entre deux et trois semaines, pour des résidences liant souvent recherche et création. La résidence peut être sur deux périodes, aux prémices du projet puis dans une phase plus avancée. Toutes les disciplines des arts vivants sont accueillies, les œuvres hybrides et transdisciplinaires sont bienvenues : le dialogue entre les disciplines artistiques est une composante forte de l’identité du projet et du lieu, pratiquant toutes les formes de décloisonnement.
Les résidences du 3 bis f s’articulent autour du couple fragile « art et société » en luttant contre les inégalités d’accès à la culture (maladie, handicap, ruptures sociales...). L’art est vivant. Sa place ici au cœur de l’hôpital tient dans le courage et l’engagement d’hommes et de femmes (artistes, mais aussi militant.e.s associatif.ve.s, travailleur.euse.s sociales.aux, soignant.e.s, bénévoles...) soucieuses.eux de poursuivre des chantiers ouverts sur la société et où il demeure important de faire de la recherche, de la production et de la réalisation des œuvres d’art, dans ce contexte dit « sensible », aboutissement d’un échange riche de sens et de liberté entre individus de communautés différentes.
Ce va-et-vient, où le rôle et le statut de résident.e peut être habité aussi bien par l’artiste que par le ou la patient.e hospitalisé.e, permet souvent la construction de groupes éphémères basés sur l’engagement avec une place possible pour tout type de participation et d’implication, dans le cadre de ce que nous appelons les sessions. L’articulation entre le travail personnel de l’artiste et le travail de groupe prend des formes multiples. Le préalable à tout projet reste l’acceptation d’une non-maîtrise de ce qui va se passer. La seule constante demeure l’expérience partagée et non l’acquisition ou la transmission d’un savoir technique à travers la proposition de sessions ouvertes au public. La proposition faite aux artistes n’est pas d’installer un rapport thérapeutique avec un groupe, mais de poursuivre une démarche de création en pariant simplement sur l’effet de cette rencontre basée sur l’échange entre l’atelier, le plateau, l’hôpital et la ville.
Il s’agit de travailler pour soi mais aussi à proximité d’autres artistes, avec l’équipe du lieu ainsi qu’avec les enjeux de la psychiatrie publique et de la place de l’art dans un lieu de réponse à l’exclusion. Les artistes en résidence sont au centre du brassage installé par le projet.
L’équipe du 3 bis f met à disposition de la compagnie un accompagnement global — logistique, financier, artistique et technique – sur le montage du projet en fonction des besoins. Il peut s’agir d’un temps de réflexion ou d’écriture comme de la finalisation d’une pièce avec une création lumière, sonore, scénographique. Dans tous les cas, il y a une part de recherche à travers les modalités relationnelles qu’offre la résidence : le travail en cours est mis en partage avec les équipes et les personnes fréquentant le 3 bis f à travers les sessions (ateliers de partage de la création), des répétitions publiques ou sorties de résidence / étapes de création. Une réflexion est menée entre équipe du 3 bis f et équipe artistique afin d’initier les modalités de rencontres les plus propices avec le lieu et les personnes qui le fréquentent, l’ouverture sur le travail en cours.
Chaque projet accueilli est systématiquement assorti d’un apport en coproduction complétant l’apport en industrie et en ingénierie. Les projets accueillis et soutenus sont également amenés à être présentés dans le cadre des réseaux de création et de diffusion du spectacle dans lequel s’inscrit le 3 bis f, tels que le réseau Traverses des scènes de la région Sud, ainsi que l’ensemble des partenaires des arts de la scène territoriaux et nationaux.
Il n’y a pas d’appel à projets, étant donné les conditions particulières de la résidence, en immersion au sein du Centre Hospitalier : chaque projet de résidence est l’aboutissement d’une rencontre avec l’équipe et le lieu, avec sa démarche.
Seul le dispositif Tridanse, parcours en région Sud de résidence chorégraphique — en partenariat avec le Citron jaune, Cnarep à Port-Saint-Louis-du-Rhône et le Vélo Théâtre, scène conventionnée Théâtre d’objet à Apt – fait l’objet d’un appel à projet annuel (parution en décembre / remise des dossiers en février / auditions en avril).