Elodie Rougeaux-Léaux
Élodie Rougeaux-Léaux est artiste plasticienne-chercheuse. Après une formation de design d’espace et des arts de la scène, elle termine son parcours artistique aux Beaux-Arts d’Aix- en-Provence en 2021. À Istanbul, elle commence à explorer les arts traditionnels du tissage et à construire une relation étroite avec le textile, questionnant ses limites avec l’œuvre d’art. Sa recherche parle de gestes, de mouvements, de corps. Elle interroge notre rapport au travail, au savoir-faire, au rituel domestique et aborde des notions de mythologies collectives, de traditions, de transmissions et d’interdépendances des corps au sein d’un groupe par la performance, l’installation et la vidéo. Régulièrement en déplacement, elle s’attache à travailler avec le territoire qu’elle habite temporairement et les matières qu’elle glane autour d’elle.
La résidence de recherche d’Élodie Rougeaux-Léaux sera empirique et collective à partir de ce mot polysémique : « soutien ». Elle invitera plusieurs ami•es de différents milieux professionnels (architecte, danseur•euse, éducateur•ice spécialisé•e, chercheur•euse en art...) qui ont toustes une manière située de penser et de définir le soutien pour venir contribuer à la recherche. Le même protocole de rencontre et de travail sera appliqué à chaque invitation pour permettre une certaine rigueur de (re)transcription de ces temps d’échanges tout en laissant la place à la liberté hasardeuse des formes qui émergeront de ces invitations multiples. Ses explorations aborderont la notion de soutien à travers différentes échelles, en allant du micro au macro, en partant d’un point de vue intime et individuel pour le déployer et le questionner au-delà, à l’échelle d’un groupe, d’une collectivité, d’une institution, d’un État peut-être.
CONVERSATION
- F comme ?
F comme Fil.
- Quelle est la genèse du projet ?
C’est un point névralgique à l’intersection d’une suite de résidences et de travaux plus ou moins récents. La notion de soutien a toujours été présente en filigrane dans mon travail performatif et chorégraphique et à travers mes expériences collectives et collaboratives. Récemment, lors d’un temps de travail en Italie en zone rurale, je me suis sentie très isolée, je travaillais avec une matière très imprévisible qui demandait en permanence des matrices pour prendre sa forme et le mot soutien revenait sans cesse ; j’ai décidé de le prendre comme point de départ en réalisant qu’il était puissant et signifiant pour moi. Ce mot polysémique très concret m’offre un large éventail de possibilités et de cheminements potentiels.
- Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?
C'est par hasard à l'hôpital Montperrin que j'ai récupéré pour la première fois en 2019 des draps usés pour réaliser le premier « Objet chorégraphique » autour d'un tressage monumental collectif, et que j'ai découvert la blanchisserie d'une institution médicale comme celle-ci. Le rythme et la répétition des gestes organiques et mécaniques m’avaient fascinée. C’est aussi un lieu que j’ai fréquenté régulièrement durant mes années d’études aux Beaux-Arts d’Aix et avec lequel j’ai toujours senti une connexion et une sensibilité commune. Travailler au sein d'un hôpital psychiatrique, c’est aussi la continuité d'un processus entamé depuis deux ans avec différentes structures (comité de sport adapté, IME, EPHAD) avec lesquels je mène des ateliers artistiques et corporels autour du corps amplifié et augmenté. Ce long temps au 3 bis f, c’est pour moi un réel moment de concentration et de lisibilité claire. C’est aussi un lieu d’hospitalité, un lieu d’accueil qui permet l’invitation d’autres personnes aux pratiques autres pour explorer ensemble des approches multisensorielles.
- Comment travailles-tu ?
Je travaille souvent de manière empirique en me laissant surprendre par ce qui apparaît, mais j’ai une sorte d’organisation mentale qui me permet de structurer les étapes de travail.
J’agglutine, je collecte beaucoup, tout type de matériels, vidéos, sons, écriture, images, notes, concepts, définitions, je les organise au fur et à mesure de ma recherche sous forme d’organigrammes au mur, et je commence à tisser des liens entre les choses, ce qui me donne des envies de formes, de gestes. J’ai souvent travaillé sous forme de résidence dans des lieux donnés, un temps donné, je travaille mieux en étant nomade, en me déplaçant, c’est là que je me sens le plus libre et concentrée. Souvent, mon ancrage dans un environnement et les rencontres que j’y fais deviennent très influentes sur la création qui va naître. Je ne qualifierais pas ça d’in situ mais je reste très poreuse à ce que m’offre un nouvel environnement. L’écriture prend aussi une place importante dans mon processus. C’est quelque chose de plus intime, elle m’accompagne à chaque étapes, sous forme de notation très libre, je tiens constamment des journaux de bord de mes étapes de travail et ça s’intensifie à chaque fois que je suis en résidence, c’est une sorte de voyage parallèle qui me permet plus tard de revenir dessus, comme marqueur, pour structurer ma pensée ou ne pas oublier des détails et des observations qui paraissent anodines sur le coup et qui plus tard se révèlent être essentielles.
Je pense qu’avant je travaillais beaucoup à partir de concepts qui guidaient mes œuvres, mais ces dernières années je me laisse davantage porter par la rencontre avec une matière et les gestes qu’elles induisent, entretenant un rapport étroit parfois avec l’artisanat. Je me suis rendu compte également que je travaillais la plupart du temps avec des matières molles et résilientes, qui laissent le choix et qui me laissent la possibilité de revenir dessus, de les retransformer, de les amplifier ou de les réduire... je crois que la forme figée me fait peur.
- Comment cohabites-tu avec ta folie ?
Je la vois comme une énergie qui fait partie de nous, elle peut être puissante et motrice si elle ne devient pas empêchante. Chez moi elle va et vient, dort et se réveille, j’essaye de cohabiter avec pour mieux la cerner, et qu’elle ne me dépasse pas trop quand elle devient trop présente et qu’elle me fait perdre mes repères ; mais j’essaye le plus souvent de la partager et de la transformer en quelque chose de joyeux. La folie d’une manière générale ne me fait pas peur mais elle restera toujours surprenante et mystérieuse et je crois qu’il ne faut pas chercher à la comprendre absolument. Peut-être d’ailleurs que ce mot n’est pas le bon s’il s’oppose à quelque chose de l’ordre de la raison.
- Un livre, un film, un Podcast avec laquelle tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ?
Plusieurs livres oui ;
Lucas Condro, Asymetrical motion : un livre d’exercices de danse d’un chorégraphe argentin avec lequel j’avais travaillé, dont la méthode m’a beaucoup appris.
Une anthologie de la performance
Le rituel du serpent, une conférence d’Aby Warburg, alors qu'il était interné en clinique psychiatrique.
Du tissage d'Annie Albers, qui recense sa collection de tissages quasi anthropologique et qui déroule sa pensée.