Marie Fortuit est metteuse en scène, autrice et comédienne. De sa formation en histoire et en études théâtrales à sa pratique du football et de la musique, elle a gardé un goût pour le mélange des genres. Elle développe une approche singulière de la mise en scène, où ses textes comme les écritures contemporaines dialoguent librement avec la musique classique ou des chansons populaires pour faire naître de nouvelles mythologies. Sa compagnie Les Louves à Minuit est située à Valenciennes. En 2023, Marie Fortuit est lauréate du Prix de la révélation théâtrale du Syndicat de la critique pour son spectacle Ombre (Eurydice parle) d’après le texte d'Elfriede Jelinek.
CONVERSATION
F comme ?
F comme Femme et Force. Je repense à ces femmes qui ont été internées et à la force qu’il faut pour supporter ce choc. La question du féminisme m’habite dans mon travail, je pense au poème "Ma Force" de Cécile Coulon, du recueil Les Ronces.
Quelle est la genèse du projet ?
Il y a dix ans, quand je découvre le livre de Violette Leduc, La Bâtarde : ce livre me donne de la force. Il y décrit le parcours d’une femme qui n’a pas de père, et sa relation presque pathologique avec sa mère. La découverte de l’écriture de Violette Leduc me donne de la force. Pour la première fois, je lis une histoire d’amour entre deux adolescentes et je me dis “ça existe”. Je me prends d’affection pour ce texte qui est à la fois une célébration des sens et une représentation joyeuse de cette histoire d’amour entre ces deux femmes. Ce qui m’a touchée, c’est que ce livre a été doublement censuré, la censure de l’amour et du livre. Dans le spectacle, on va pouvoir ressentir la censure du livre sur le corps de Violette Leduc et la violence systémique exprimée par les scènes censurées : le viol, l’avortement, l’amour lesbien, tout ce qu’une femme n’est pas censée faire et subir.
Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?
Le 3 bis f parce que c’est un lieu laissant la place à la réparation. Ce projet permet de réparer, les mots de Violette Leduc vont pouvoir être entendus. La question de l’hospitalisation est très présente dans le spectacle, on se trouve au cœur de l’hôpital, ça résonne beaucoup. Le vent aussi, Violette Leduc a écrit Le Vent nocturne, un texte censuré également au début de Ravages. Dans ce récit, elle explique comment le vent l’aide à s’affranchir de sa famille. Je n’arrête pas de penser au vent depuis que je suis ici, d’autant que Violette Leduc a passé la fin de sa vie près d’ici à Faucon.
Comment travailles-tu ?
Je travaille par strates, j’ai besoin de travailler seule face au texte. L’adaptation d’un roman est un travail très spécifique, il faut s’autoriser à couper mais ne pas redevenir censeur face à ce que je vais tirer de la résonance d’un texte. En seconde partie, je vais m'intéresser à comment l’écriture sauve. Ensuite, je travaille en équipe, avec une dramaturge qui m’aide aussi à tirer les fils du sens, les conséquences de la censure sur Violette Leduc, cela va me donner les priorités. Je travaille aussi l’espace avec la scénographe, ce qui me permet de travailler la présence scénique. La dernière étape, avec les actrices, au départ, je ne vais pas beaucoup les diriger, je vais laisser les portes ouvertes pour être en lien avec leurs propres intuitions, en lisant aussi beaucoup de choses autour. Le grand défi, c’est comment représenter l'érotisme sur scène. Je travaille sur du temps long, j’ai commencé à travailler sur ce projet il y a plus d’un an et les répétitions commencent la semaine prochaine, plus d’un an et demi sans être au plateau.
Comment cohabites-tu avec ta folie ?
Elle s’exprime plutôt la nuit, je suis sujette à des terreurs nocturnes, j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose de menaçant, elles me dépassent un peu. La journée, j’essaye de plonger dans la folie de Violette Leduc et de m’en protéger, je la laisse s’exprimer, mais en même temps ça me fait peur aussi. La cohabitation dépend des jours.
Un livre, un film, un podcast avec lequel tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ?
Un podcast de Charlotte Bienaimé, Au procès des folles, laissant la parole à des femmes victimes de violences physiques et psychiques commis par leurs ex conjoints. Un livre de Violette Leduc, La chasse à l’amour, comment elle a été censurée et comment ceci a signé chez elle le point de départ de ravages intérieurs. Enfin, un livre de philosophie de Corinne Pelluchon, L'Espérance ou la Traversée de l’Impossible.