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ARTISTES EN RÉSIDENCES

EMMANUEL VIGIER & MARIO FANFANI

Résidence de création | octobre 2023  

Mario Fanfani vient du théâtre. Comédien dans les années 90, il travaille avec Catherine Marnas et André Engel. En 1996, il passe à la réalisation et tourne entre autres Pierre et Jeanne, chronique familiale d’un jeune homme séropositif, Un dimanche matin à Marseille, série de trois courts métrages sur le vécu du sida, Une saison Sibelius, premier long métrage pour ARTE et fiction construite sur l’émotion musicale d’un jeune détenu. Il remporte le Leone Queer à la Mostra de Venise pour Les nuits d’été, où il fait l’archéologie des questions de genres sous la forme d’une chronique autour de la vie d’un groupe d’hommes travestis dans la France gaulliste des années cinquante. En 2021, il crée le Groupe Dispersion, collectif de cinéastes, comédien·ne·s et enseignant·e·s qui travaille sur les liens entre art et écologie.



Emmanuel Vigier invente des objets documentaires qui questionnent la frontière et la mémoire. Depuis quelques années, il chemine aux côtés de personnes dites marginalisées et s’attache dans ses œuvres à déplacer le regard que l’on porte communément sur elles. Son travail se situe à la croisée des chemins du théâtre, des arts plastiques, du son et du cinéma. 09h20 : Divorce, son premier documentaire sonore, remporte le prix de la création documentaire au Festival Longueurs d’Ondes en 2022.

1)        F comme ?


F comme Forêt l’un et l’autre pour plusieurs raisons.

Un des tous premiers travaux de Val plumwood, cette philosophe  australienne avec laquelle on travaille depuis plusieurs années, c’était son premier terrain d’étude, la forêt, avec son compagnon, elle en a écrit un ouvrage. À un autre endroit de la création, Mario et moi, la forêt, c’est un lieu d’ancrage, un lieu d’inspiration assez fort, il y a une forêt dans le Var à laquelle on est attaché, dans laquelle on a fait des images, et une autre en Auvergne, d’ailleurs, là, on est en Auvergne, on est venus la filmer. On a un attachement fort à la forêt l’un comme l’autre.

Je rebondis sur Val et la forêt, son mari qui s’appelait Richard Sylvain, il a pris ce nom là qui veut dire de la forêt, il s’appelait Richard Brightley ils ont écrit un livre très important qui s'appelle ” défendre la forêt “ dans les années 70 à un moment ou la question de la défense de l’environnement n’était pas aussi prégnante qu’elle ait aujourd’hui, mais néanmoins cet ouvrage a été très controversé, très discuté, ils se sont fait beaucoup d'ennemis car ils sont allés contre l’usage de coupe dans les forêts, l’usage de maltraitance des forêts à l’époque, qui étaient totalement, pratiquement institutionnalisées pour un certain nombre de profession.

La forêt pour Emmanuel et moi est un lieu très important, lieu de magie, d’inspiration, un lieu où la biodiversité est parfois encore protégée, ou on peut entendre des oiseaux, où on peut entendre un tas d’animaux sauvages. F comme forêt et on y a tourné des images qui nous importent énormément.

C’est un lieu où le rapport à notre propre animalité revient si on se pose vraiment la question, où physiquement, on peut le ressentir et c’est un petit peu de cette façon-là qu’on a travaillé avec ces images-là, avec le corps d'Emmanuel nu dans une forêt, on a essayé de capter comment on traite notre propre animalité, d'animaux humains que nous sommes.


2)  Quelle est la genèse du projet ? 

            

La genèse du projet elle est la découverte d’un premier texte de Val plumwood qui a été publié chez Wall project, un éditeur marseillais, dans l’oeil du crocodile qui est un recueil de texte de Plumwood, en 2020 cette découverte c’est d’abord Mario qui lit le texte et me le transmet, et parallèlement on s'était déjà investi dans une recherche vidéographique et cinématographique sur cette question de l’animalité, cette question du corps, de l’animalité du corps, dans la ville puis dans la forêt c’est au croisement de ces deux recherches qu’est naît cette création.

De la nécessité, de ce trouble que venait faire en nous la découverte de ce texte et de cette femme, tenter de l’incarner. Cette incarnation ça passe par le corps et ce corps, c’est celui de Mar Sodupe, comédienne avec laquelle Mario avait déjà travaillé au cinéma, petit à petit, on a tiré des fils comme ça, ensemble en effet qu’est naît cette création et ensuite l’invitation à Mar à rejoindre la création, voilà comment ça commence.

Le texte, on le découvre pendant le confinement, qui est un moment pour nous deux, et pour la planète entière, un moment de rupture très important et un moment, on se pose, où des questions nous arrivent auxquelles on n'avait pas encore et aussi intimement pensé, et que ce texte-là vient mettre en mots, en tous les cas formaliser un certain nombre de ces questions de notre appartenance à la communauté des êtres vivants de la planète.

C’est dans cet effondrement-là, dans cette verticalité-là, que des questionnements nous ont traversés de façon extrêmement importante que le projet est né.



3) Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?


Emmanuel : j’ai une histoire forte avec le 3 bis f, de croisements d’approches de sensibilité et dans ce déplacement et ce bouleversement qu’on a traversé avec Mario, je crois qu’il y a eu le désir de venir le partager dans un lieu où la transformation est rendue possible. Val Plumwood dans son récit, elle brise des murs, elle se déplace, c’est une philosophe de terrain et il nous a semblé à l’un comme l’autre qu’on pouvait être accompagné dans un lieu comme celui-ci, qui continue moi à me parler, à m’inspirer, à me bouleverser. Voilà.


Mario : Alors moi, j’ai pas l’historique d’Emmanuel au 3 Bis f, c’est la première fois que je vais venir y travailler,  mais j’y suis allé plusieurs fois, notamment dans les rencontres Art Soin Citoyenneté cette année organisées par Jasmine, mais évidemment la question de la diversité neuropsychique nous renvoie à nos propres questions à notre propre rapport au corps justement, puisque la question du corps dans ce texte est extrêmement importante, et il me semble qu' aller se confronter,  où alors aller accueillir, aller rencontrer plutôt des personnes qui sont au 3 bis f va forcément déplacer notre travail sur le corps avec Mar, notre rapport, notre propre corps et à cette question de l’animalité, de notre vulnérabilité, notre lien, nos différences, la norme, tout ça, toutes ces questions là, le 3bis f est peut être le lieu où véritablement où on peut s’y inspirer, s’en inspirer.


Emmanuel : il y a une communauté, moi, j’ai trouvé dans ces rencontres, en ce moment, il y a une émergence d’une communauté de lieux, et une communauté d’artistes aussi qui travaillent fort ces questions-là, et je trouve qu’il y a un moment-là comme ça un peu autre que je n'ai pas vécu jusqu’à présent dans mon parcours et qui me semble super important en fait.


Mario : et puis parce que Jasmine Lebert a su reconnaître dans notre projet ce qui allait pouvoir, comment notre projet allait pouvoir rencontrer ces questions-là, le projet va nourrir aussi cette réflexion. Elle nous ouvre la porte, merci beaucoup Jasmine d’être aussi attentive et sensible aux rencontres et aux projets qu’on peut lui proposer.


4) Comment travaillez-vous ?


Mario : la question de travailler à deux sur un même projet est une vraie question. Effectivement, la question prend une autre dimension. On travaille en complémentarité, on a des histoires différentes l’un et l’autre, évidemment d’une part ce projet là est la matérialisation du travail vidéographique qu’on fait par ailleurs, c’est notre premier projet au plateau qui va mêler des images et du texte on essaye, c’est pas toujours facile on a parfois des visions différentes de voir comment ces visions différentes vont converger vers un même endroit comment elles s’enrichissent c’était plus fort, moins solitaire, il y a quelque chose de très beau  dans cette idée de collaboration entre nous deux, mais aussi avec tous les autres artistes avec lesquelles on travaille aussi bien à la lumière, au son, au jeu, à la vidéo, même à la technique, je considère que toutes les gens qui travaillent sur un projet sont des artistes, parce qu’il faut créer une lumière, il faut créer du son, c’est une communauté d’artistes qu’on essaye de rassembler avec nos différences.


Emmanuel : on a des parcours assez différents Mario et moi, il vient de la fiction, des films dans l’industrie du cinéma, moi, j’ai un parcours de documentariste très indépendant parfois avec la télévision, parfois le film était produit, parfois aussi avec le théâtre, j’ai travaillé avec la compagnie sous x précédemment, c’est aussi une rencontre entre nos deux univers avec une figure qui fait lien, qui serait cette femme philosophe qui vient nous toucher tous. Ce que fait Val Plumwood en nous, dans cette communauté d’artistes qu’on essaye de créer autour de cette création, dans cette création, comment elle nous fait bouger tous? C’est dans ce mouvement-là qu’on essaye de travailler. Par exemple et ça, on va essayer de le mettre en scène, de le souligner en tous les cas, comment on se déplace les uns et les autres ? Comment une interprète, elle aussi, va s'investir dans une recherche documentaire ? Par exemple, ce que Plumwood a fait en nous, c’est comme ça qu’on essaye de travailler au mieux. Et donc, ça passe aussi par une grande rigueur dans la recherche documentaire et faire confiance à nos intuitions, à la poésie, aux intuitions des uns des autres, ça nécessite une grande écoute.


En brisant la hiérarchie, en travaillant de la façon la plus horizontale possible, et en travaillant de manière centrale. Plumwood qui est une philosophe, qui va chercher dans la culture aborigène, qui déconstruit notre philosophie occidentale, en essayant, en s’ouvrant le plus possible à la déconstruction qu’elle propose, ce qui est très compliqué parce que déconstruire, nous, il faut reconstruire quelque chose derrière qui ne soit pas une reconstruction qui fait table rase de ce qu’elle a déconstruit. Un peu en résonance ? Une résonance, c’est ça !


5) Comment cohabitez-vous avec votre folie ?


C’est une question intime, la folie du couple ? Ou la folie de chacun ?

C’est une question difficile.


Emmanuel : j’ai l’impression d’y arriver de mieux en mieux, comment dire, de la cerner un peu plus, de vivre un peu mieux avec elle, d’en faire quelque chose qui pourrait vivre mieux, voilà, je n’arrive pas…. Mais j’y suis attaché en tous les cas, ce n'est pas un mot qui me fait peur, au contraire, j’aime bien le mot folie, j’aime bien le mot fou, un des tous premiers endroits où j’ai pu venir créer, c’était justement en psychiatrie, un des tous premiers endroits où j’ai été accueilli dans les créations, c’est le 3 bis f. C’est pas du tout quelque chose qui m'effraie ni ma propre folie ni celle des autres.


Mario : alors déjà derrière le mot folie, c’est un mot très ouvert, qui peut recouvrir plein de réalités différentes. Je ne sais pas si derrière folie il y a névrose, alors on va mettre de côté les névroses, ça peut conduire à la folie, je ne sais pas… En tous les cas, ce qui résonne en moi avec folie, c’est s’ouvrir, lui ouvrir la porte pour être le plus sensible possible d’une part, la question quand on est créateur et de la folie, c’est une vieille histoire littéraire, cinématographique, et mythologique, etc. En essayant de la rendre la plus aimable possible pour moi et pour les autres, en n'allant pas vers la destruction, mais en essayant d’en faire un appui, un outil, une source d’inspiration créative, de joie, joie et folie, de fantaisie, de lien que la folie fasse lien, de travailler à ce qu’elle fasse lien et qu’elle ne fasse pas l'isolement. C’est comme ça que j’ai envie de cohabiter avec ma folie.


Mais ça ne marche pas tout le temps, non non non, c’est un travail tout le temps, ce n’est jamais résolu. En réfléchissant à la question, c’est plutôt ça que j’ai envie de dire, parce qu’il y a des folies douces, il y a des folies violentes, je ne crois pas moi que la mienne soit super violente, j’ai plutôt envie qu’elle me rapproche plutôt qu’elle m’éloigne en invitant les autres à venir partager ma folie aussi.


6) Vers où regardez-vous ?


Devant ! (rires) Non mais ce qu’on se disait ce matin, on est venu tout près d’un lac pendant quelques jours pour filmer une forêt, ce lac nous avait saisis. Je dirais vers un lac, j’aime bien qu’il y ait des images qui nous invitent à créer des imaginaires.

J’ai la chance d’habiter à Marseille depuis 6 ans, et à Marseille il y a l’horizon, je pense que c’est un de mes grands moteurs même inconscient, peut être conscient, la raison pour laquelle je suis venu à Marseille parce qu’il y avait un horizon amoureux, mais aussi un horizon géographique. En plus, on habite dans un appartement où cet horizon nous ait offert, le regarder ou s’y abîmer, donc ça veut dire vers le futur, devant, vers un voyage, vers un ailleurs, vers une transformation, le propre de l’horizon, c’est qu’on se demande toujours ce qu’il y a derrière, au-delà de cette ligne est-ce qu’on bascule ? Est-ce qu’on peut atteindre un point ? C’est en perpétuelle source de questionnement et en même temps d’apaisement, car cette ligne est là et on peut la contempler, c’est très fort en fait l’horizon, à Marseille, quand on vit au bord de la mer en tous les cas. C’est pour ça, c’est plus compliquer pour moi la montagne, alors le lac, c’est aussi un horizon, même s’il est petit il y a une ligne d’horizon, la montagne, c’est très dur pour moi, en ville, c’est pareil, on ne peut pas contempler l’horizon.


Je ne sais pas comment tu vas faire une synthèse de ces deux réponses…





BEING PREY
Étape de création Being Prey jeudi 19 octobre 2023 à 19h | Lecture-conversation samedi 23 mars 2024 dans le cadre de la Soirée astrale #printemps
Théâtre
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