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BEN WEIR

résidence de création - novembre 2021 > février 2022  
Billy Woods


Ben Weir est né en 1991 à Belfast. Il est diplômé en architecture de la Glasgow School of Art. Après une résidence à la Jan van Eyck Academie à Maastricht et à la Fundació Mies van der Rohe à Barcelone, il est actuellement artiste-chercheur associé au Centre for Contemporary Art Derry de Londonderry (UK). 

Les espaces construits sont pour Ben Weir des terrains d’essais pour développer des oeuvres qui prennent en compte tout autant les systèmes de valeurs et de pérennité que d’origine des matières premières. Il explore notamment la manière dont les structures de pouvoir et les enjeux socio-économiques se manifestent au travers des environnements bâtis. 

Au 3 bis f, il aborde les lieux par le prisme de l’oeuvre Veduta di Roma de Piranèse à la lumière de laquelle il prend mesure des espaces pour y inscrire des gestes architecturaux.

Procédant par ajouts mineurs et fragmentaires il en augmente progressivement l’environnement qui en devient plus complexe et plus riche. Des ajouts qui tendent peu à peu à prendre part au lieu, tel un acte poétique ou littéraire s’efforçant de formuler les gestes les plus justes.





Entretien avec Ben Weir


(FR) 


Distance ? 

Distance... c’est étrange. Au milieu de la pandémie, j’ai déménagé de Belfast pour me réinstaller aux Pays-Bas, où j’avais déjà vécu. C’était un moment un peu particulier pour prendre ce genre de décision. Chaque fois que je suis allé là-bas, c’était avec un projet de résidence, pour une durée déterminée, mais cette fois, j’y emménage sans programme défini. J’ai donc le sentiment de vivre quelque chose d’assez similaire à ce que vivent mes étudiants (lorsque j’enseignais en master d’architecture, à Belfast). D’habitude, on fait cours à l’atelier. Certains jours, il y a entre 50 et 100 étudiants qui partagent le même espace et qui sont présents tous en même temps. Ils participent à la culture de l’atelier (et ils la créent, même, ils la définissent). Depuis un an et demi, tous les cours sont en ligne. Je ne crois pas que le contenu du programme en ait été affecté — l’expérience a même été plutôt réussie, vu les circonstances — mais j’ai remarqué que cette culture de l’atelier manquait cruellement aux étudiants : ils ont arrêté de se voir tous les jours, d’être dans cette sorte d’émulation stimulante qui existe quand on partage le même atelier. Parfois, on arrive, on voit une superbe maquette et on se dit « Il faut absolument que je fasse quelque chose comme ça... ». Bref, c’est ça, ce qui me manque à l’heure actuelle. Je suis retourné aux Pays-Bas et mon réseau est donc limité. En plus, en ce moment, je n’ai plus d’atelier et je travaille en passant d’un projet à l’autre, alors cette culture me manque un peu, les conversations informelles, par exemple. Les discussions sur Zoom sont toujours un peu trop statiques, formelles et rigides. Ce qui me manque, c’est l’aspect inattendu et sensoriel qui peut naître d’une conversation en face à face.

 


Quel événement (artistique, culturel, politique, économique ou environnemental) associerais-tu à ton année de naissance ? 

Je suis tenté de mentionner un événement politique de dimension internationale, quelque chose en rapport avec la guerre froide, par exemple, parce que la réunification allemande a eu lieu en 1990 et que je suis né en 1991, mais je ne sais pas trop dans quelle mesure ces événements ont influencé ma construction personnelle. Je suis né dans un drôle de coin de l’Europe, sur cette petite île du littoral nord-ouest. Là-bas, les choses sont différentes et j’ai l’impression que, d’une certaine façon, nous nous sommes construit un univers en réaction, en opposition même, au contexte dans lequel on évoluait. Mon univers à moi est né autour de la musique et de la contre-culture, le skateboard ou le graffiti... La musique a vraiment le pouvoir de me ramener à cette période-là de ma vie. Pour moi, la musique a une résonnance incroyable. Quand j’entends un morceau, je peux me retrouver immédiatement à un moment précis du passé. On peut remonter le temps avec la musique, c’est magique. 1991, c’est l’année où est sorti l’album Loveless, du groupe shoegaze irlandais/britannique My Bloody Valentine. Le son de cet album est noisy, presque violent, mais les mélodies sont étonnamment belles et harmonieuses : quand on enlève les guitares saturées, il reste quelque chose de vraiment mélodieux. C’était la première fois que je voyais deux extrêmes se combiner comme ça pour aboutir à quelque chose d’aussi puissant. Et, je ne sais pas bien comment le dire, mais je crois que ça fait aussi écho à la complexité de la ville dans laquelle j’ai grandi : un genre de dualité entre violence politique et beauté insoupçonnée.

 


Quelle est l’origine du projet ? 

À l’origine, il y a le travail de recherche que je mène sur les limites entre pratique architecturale et pratique artistique. Ces dernières années, j’essaie d’inscrire ma pratique dans une trajectoire à plus long terme plutôt que d’envisager tous mes projets comme des œuvres indépendantes. J’essaie de les voir comme les branches d’un même arbre. Ma recherche consiste à repérer des situations architecturales ou des environnements urbains remarquables afin de les transformer.



Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?

Parce que vous avez eu la générosité de m’inviter ! C’est dans la continuité de ma réponse à la question précédente : j’aime travailler sur des projets qui révèlent quelque chose. Je cherche toujours à me situer dans des contextes très spécifiques auxquels il me faut faire face. Je suis particulièrement attentif aux contextes que je choisis : ce sont souvent des endroits en lien avec un patrimoine architectural remarquable. Mais je ne veux pas les traiter comme s’il s’agissait des joyaux d’une couronne ou de pièces de collection qu’on archiverait puis mettrait en réserve. J’ai toujours envie de révéler quelque chose de neuf du rapport que nous avons avec eux, non pas me contenter de faire leur louange. Alors, forcément, venir en résidence dans un hôpital psychiatrique du XIXe siècle au sud de la France, c’est un contexte idéal pour moi.



Comment travailles-tu ?

J’ai une démarche d’architecte. On commence avec un relevé précis de ce qui existe. On observe dans le détail, on mesure, répertorie, dessine, jusqu’à ce qu’on ait une vision exhaustive de ce qu’on entrevoit sous nos yeux. Ensuite, on peut commencer à construire à partir de ça, au sens propre comme au figuré. Mais, au départ, il y a toujours des mesures et des dessins pour garder une trace physique et sensorielle de ce qui existe, parce qu’à mon sens, rien ne s’inscrit jamais dans le vide. Je ne fais pas partie des artistes qui ont tout un univers créatif à « évacuer » de leur cerveau. Je ne considère pas l’art comme quelque chose qui me révèle ou me sauvera. C’est une pratique que je ne peux exercer qu’en m’appuyant sur des éléments externes environnants. Parfois, j’ai besoin de prendre le temps de réfléchir à cet aspect de mon travail, ce désir de révéler les choses à la manière d’un détective. Le travail que je propose est toujours en lien avec ce qui m’entoure.



 Comment vis-tu avec ta folie ?

Les gens se font encore parfois une idée romantique et fantasmée de l’artiste qui oscillerait entre folie et génie, souvent un homme ou une femme qui aurait une vision bien à lui.elle de la réalité... Cela peut être dangereux voire malsain. Mais en même temps, dans la vie, nous avons aussi tendance à occulter certaines choses au lieu de les exprimer. Je pense que c’est un aspect que l’hôpital psychiatrique Montperrin connaît parfaitement : vous impliquez les gens de manière saine, par le biais de la culture, en faisant toutes sortes de propositions et en donnant aux gens l’occasion de s’exprimer. C’est peut-être la meilleure façon de procéder. En ce qui me concerne, je produis des œuvres, je lis beaucoup et — puisque je viens d’Irlande du Nord, je me dois de l’ajouter — je vais au pub ! Je ne fais pas que plaisanter : il s’agit d’une institution culturelle de première importance. J’ai eu au pub un nombre incroyable de révélations sur la vie, grâce à ce genre de conversations uniques en leur genre qui ne peuvent avoir lieu que là-bas. Des conversations intimes, au coin du feu, avec des amis et de la musique.

 

Juillet 2021





(EN)


Distance ?

Distance… is funny. In the middle of the pandemic, I moved from Belfast back to the Netherlands, where I had previously lived. It was an odd time to make this kind of decision. Formerly I had moved there with the intention of doing a residency, always with a defined end point, but this time I moved with no definite plan. As a result, I share the feelings experienced by my students during this period (I have been teaching at the Masters in Architecture course in Belfast). Normally, we teach in the studio. On a given day there is between 50 and 100 students sharing the same studio space, all present at the same time. They participate in (and create, define) studio culture. The past one and a half years, we moved entirely online. I don’t think the delivery of the studio programme suffered, it was successful as far as it could have been given the circumstances, but I really noticed that the students lacked the studio culture. They weren’t seeing each other every single day, they didn’t have this kind of healthy competitiveness that comes with sharing the studio. One day you might enter and see a very beautiful model and you say to yourself “I have to make something like that…” And to make this story shorter, that’s now what I miss here. I moved back to the Netherlands so my network has gotten smaller. I also don’t have a studio right now, and I am working on a projects-to-project basis. So I miss a bit of this culture, I miss the informal conversations, having conversations over Zoom is always a little bit too static, formal and rigid. I miss the kind of unexpected, haptic relationships that can arise through face to face conversation.

  


Which event (artistic, cultural, political, economical, environmental) would you associate to you birth year ?

Here I am tempted to say something of global political importance, something about the Cold War for example, because German reunification was in 1990 and I was born in 1991. But I am not sure to what extent these events influenced my own personal development. I was born in an odd corner of Europe on this little island on the North-west coast. Things are very different over there, and to a certain extent I think we created our own universe, reacting to, or rejecting, the context we found ourselves within. My own universe was created through music and counter-culture like skateboarding, graffiti… Music really brings me back to this time of my life. For me, music has incredible resonance. When I hear a piece of music, I can immediately come back to a particular moment. It has magic in it, we can time travel with music. In 1991 the album Loveless by the Irish/British shoegaze band called MBV was released. It’s noisy and almost violent sounding, yet has these incredibly beautiful and harmonious melodies. It’s like if you strip back all of the noises, there’s something really sweet underneath. It was the first time I saw two extremes combining like that to make something really powerful. And I don’t know how to put it into words, but I think it also resonated with my experience of growing up in a complex city: this kind of dualism between political violence and unexpected beauty. 

 


What is the origin of the project ?

The origin is my ongoing research into the boundaries of artistic and architectural practice. In recent years I’ve tried to look at a longer trajectory for my practice, rather than seeing all my projects like independent pieces. I am trying to see them as branches of the same tree. The research comes from finding very particular built situations or urban conditions, and transforming them.

 


Why coming in 3 bis f for this project ?  

Because you were generous to invite me! It follows the last question, I always like to make projects that reveal something. I always seek to place myself in very specific context to respond to. I select the contexts very carefully, often places with a relationship to important architecture heritage. But I don’t want to treat them like if they were jewels in a crown, or like museums pieces that would be archived and put away. I always want to reveal something new about our relationship to them, I don’t just want to celebrate them. And yes, the psychiatric hospital from the 19th century in the South of France will be very rich context for me.

 


How do you work ?

I work like an architect. Everything starts through surveying what exists. Close observation, measuring, recording, drawing until you completely know what is there and then you can begin to build on it, literally or otherwise. But it’s always measured and drawn to record both physically and sensorially what exists, because for me nothing really exist in a vacuum. I am not this kind of artist with this world of creativity inside their head that they need to release. For me, art is not something that reveals me or is going to save me, it‘s something I can only make based on existing external conditions. Sometimes I need to take time to dwell on that, uncovering things like a detective. I always make work related to what surrounds me.


 

 How do you live with your madness ?

Sometimes people have this romanticized, unhealthy image of the artist as somewhere between madness and genius, often a man with very singular views about the world… This kind of romanticization can be dangerous. But at the same time, in life there is often a shying away from things need to be expressed. I guess the Montperrin Psychiatric Hospital is a kind of authority on that subject- you are engaging people in a healthy way, culturally, with many kind of inputs and opportunities to express themselves. That’s maybe the best way to do it. For me personally, I make work, I read a lot, and coming from Northern Ireland, I have also to say: going to the pub ! It’s not only a joke, the pub is a very important cultural institution. I’ve had incredibly important small revelations about my life in the pub, through these kind of special conversations that can only happen there. Intimate conversations, by the fireside, with friends and music.

 

July 2021

CHARGED SPACE
5 février > 26 mars 2022
Arts visuels
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