Un centre d’art et une fabrique des arts vivants dans un espace d’hospitalités

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CATHRYN BOCH

Résidence de création | février > juin 2023  
JCLett

Cathryn Boch vit et travaille à Marseille. Diplômée de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, section Art, Cathryn Boch a réalisé une résidence de recherche au 3 bis f sur l’ensemble de la saison 2018-2019.

Son travail se retrouve parmi les collections suivantes : Cabinet d’Arts Graphique - Centre Georges Pompidou, Fonds municipal de la ville de Paris, Fonds national d’art contemporain, Fonds régionaux d’art contemporain (PACA et Picardie), MAMCO Genève, Fondation Daniel et Florence Guerlain, Collection Antoine de Galbert. En 2014, elle est lauréate du prix Drawing Now. En 2017, la Galerie Papillon (Paris) publie la première monographie de l’artiste et en 2019, elle est nommée pour l’édition 2020 de Women to Watch/Paper Routes organisé au National Museum of Women in the art de Washington. En 2020, elle réalise une résidence et exposition personnelle au Domaine de Kerguéhennec. En 2021, elle participe au festival « Le Printemps de septembre » aux Abattoirs à Toulouse.

CONVERSATION 


F comme ? Femmes avec un S, femmes aux pluriels. Il y a un lien au-delà des mots, au-delà des âges, au-delà des territoires, une sorte d’appartenance à un groupe de femmes, une connivence de femmes. Ce lien je le sens parce que nous partageons un type d’expériences, de celles qui existent quand on en parle ensemble, je peux m’y reconnaitre. Ça nous donne de la force. C’est hallucinant cette répression - oppression à l’égard des femmes, ça n’en finit pas, ça rend en colère, ça bouscule nos émotions, on a envie de mordre, de se battre…et encore, encore, on se bat.

Il y a ce cri de Virginia Woolf « penser nous devons » qui doit être repris encore et encore jusqu’à ce que les femmes cultivent ensemble cette capacité qu’on leur a si souvent reprochée… faire des histoires, et en faire toute une histoire ! j’aime beaucoup ce slogan qu’on chante pendant les manifestations : SO-SO-SO SOLIDARITÉ -Avec les femmes- du monde entier !



Quelle est la genèse du projet ? Quand j’ai choisi de m’installer à Marseille les questions de déplacements, de migrations ont émergées avec une grande puissance. Marseille est cette ville ouverte qui a accueilli les migrations du monde entier depuis des siècles. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Qu’en est-il de ce lien sacré à l’hospitalité ? Les politiques migratoires actuelles en Méditerranée sont d’une violence inouïe face à la situation d’accueil et de protection des migrant-e-s. Ce sujet est éminemment politique, il me bouleverse parce qu'il parle d'un profond dérèglement humanitaire, il parle d'exclusion, il parle d'oppression, il parle de violence, il parle de survie et cependant il parle aussi de résistance, de luttes et d'espoirs.

Les femmes sont absentes du grand récit des migrations alors que leur énergie à traverser les frontières et à construire leurs propres trajectoires est certaine. J’ai eu un désir viscéral de parler d’elles, de chercher à visibiliser leurs forces, leurs capacités à décider de leurs corps et de leurs avenirs. Elles continuent à inventer au fil de leurs parcours, et décident de ce qu'elles ont envie de vivre, malgré les obstacles qu’elles subissent. Je voudrais montrer toutes leurs résistances…

 

 

Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ? Le f de 3 bis f c’est le f de femmes. C’est un lieu qui a été conçu pour le cloisonnement forcé des femmes dans l’enceinte du centre Hospitalier de Montperrin. Il y a cette question de l’enfermement, qui rejoint ce que vivent les femmes migrantes, venues d’Afrique subsaharienne, de Syrie, d’Afghanistan…elles sont enfermées dans les camps de Moria, de Chios en Grèce, ou Pozzallo en Italie, ou encore à Malte, elles y restent indéfiniment, pendant des mois, des années, dans l’attente d’avoir leur demande d’asile…Il y a cette chose de l’exclusion, de la marge, de l’invisibilité aussi qui résonne avec la situation des migrant-e-s. Mais surtout aujourd’hui le 3 bis f est un magnifique lieu d’échanges, de rencontres, avec des personnes singulières, c’est un lieu d’accueil, d’écoutes et de soins, de partage d’expériences avec une attention particulière portée à l’hospitalité ; il m’a semblé qu’il y aurait là un abri pour développer mon projet.

 

Comment travailles-tu / travaillez-vous ? Je suis vraiment une artiste d’atelier, c’est un lieu très important pour moi. Il est ce point géographique à partir duquel mes expériences de pensée, de rencontres, d’explorations, sont possibles. Et c’est aussi la fabrique, ce lieu où je fais face. Le mouvement circule de l’extérieur vers l’intérieur, puis il s’ouvre à nouveau vers l’extérieur… et revient vers l’atelier. Il faut faire passer de la vie.

Souvent c’est une rencontre avec une émotion, quand je sens quelque chose de singulier et que j’ai été transformé… L’émotion s’appuie sur ce que nous ignorons de nous quand le monde s’approche. Il y a de l’autre et cet autre nous atteint. C’est de l’ordre du senti. Je ne sais jamais d’avance où je vais, j’engage mes recherches, frénétiquement, je saisie toutes sortes de nourritures : des lectures philosophique, sociologique, anthropologique, politique, des poèmes, des images, des matières, des cartographies, des manifestations, dans la rue, dehors - dedans, c’est partout en fait… Et la singularité peut se déployer, je peux l'explorer, voir où elle m’emmène, à quoi elle a ouvert…

Pour moi fabriquer, faire, doit agir de manière effective.

Et dans un rapport concret ici et maintenant, entre moi et ma machine à coudre, quelque chose de singulier se produit, mais qui ne convient jamais entièrement…

 

Comment cohabites-tu avec ta folie ? Je sens la limite vraiment très fragile j’essaye de la tenir en équilibre j’y arrive de mieux en mieux maintenant…Je sais qu’elle n’est pas loin. Il y a des degrés de folie, une légère folie m’accompagne tous les jours un peu, je la fréquente avec humour, les autres j’essaye de tenir, de ne pas traverser…c’est encore une histoire de frontière.

 

Ton refuge ? J’ai plusieurs refuges, je passe de l’un à l’autre, selon qu’il soit plus disponible : les ami-e-s sont un refuge immense, ce lien comme un endroit où je sens que je peux être comme je suis. Ce sont des lieux d’immersion, des lieux où on peut aimer et se sentir aimé. Il y a le soleil, où que ce soit je cherche sa puissance, son énergie, sa chaleur…il y a l’eau aussi, c’est fort ce qui se passe avec l’eau, elle permet comme les caresses de sentir les limites de son corps, je nage dès que je peux. Le refuge c’est l’amour en fait…