Le Journal
Être en lien : de l’art relationnel
#Paroles 3 bis fLieu d’arts contemporains portant un projet de création pluridisciplinaire au cœur de l’Hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence, le 3 bis f explore depuis près de quarante ans toutes les formes de décloisonnement : entre l’hôpital psychiatrique et la société, entre l’art et le soin, entre les disciplines artistiques, entre un monde caractérisé par une dynamique de centre et de marges et un autre qui échappe aux normes. C’est précisément ce lieu de création hors norme que l’équipe du 3 bis f fait vivre, activant des liens fertiles entre des personnes, des communautés qui co-existent au sein de notre société, ordinairement sans se rencontrer : artistes, patients, soignants, étudiants, retraités, amateurs d’art contemporain ou de spectacle vivant, habitants, curieux en tous genres, surpris de notre action singulière, inattendue, au milieu du Centre Hospitalier.
Si le lien, celui du 3 bis f à l’hôpital, est déjà au cœur du projet, la question de la relation traverse de près en loin l’ensemble des projets artistiques que nous accueillerons durant cette saison 2020-2021, dans le champ des arts visuels comme dans celui des arts vivants. Les esthétiques relationnelles, formes artistiques issues d’expériences de mise en relation, proposant autant de manières d’être ensemble que de nouveaux langages artistiques, souvent immatériels, imprègnent les recherches et expérimentations des artistes qui viendront travailler chez nous, avec nous.
Cette mise en présence de personnes éloignées les unes des autres habitent les recherches d’Eric Minh Cuong Castaing & Anne-Sophie Turion, Yaïr Barelli, Alex Grillo, Anima Théâtre, KO.com, cartographes intimes de notre rapport au monde bousculant les différentes échelles de nos territorialités, individuelles, politiques ou géopolitiques.
C’est de notre rapport au vivant, de la relation entre les espèces — humaines, animales, minérales, végétales – et de toutes les formes de vie que Côme di Meglio (arts visuels) ou encore Bastien Mignot (théâtre, danse) développent chacun leurs recherches, à partir de matériaux organiques et d’expériences collectives autour du repas pour le premier, d’immersion dans le paysage pour le second. La conscience modifiée est aussi à l’origine de la nouvelle création la compagnie Monad qui verra le jour au 3 bis f dans le cadre de la BIAC 2021.
De la communauté du vivant à notre rapport à l’espace-temps, il n’y a qu’un pas. Donna Haraway introduit, avec la « notion de « Chthulucène », l’idée que « nous sommes reliés à une myriade de temporalités et de spatialités, reliés aux divers pouvoirs passés, présents et à venir de la Terre » (Habiter le trouble, 2016). Réparer les failles entre le passé, le présent et le futur, en plongeant dans la mémoire, est l’un des enjeux du travail de Marie Ilse Bourlanges & Elena Khurtova, mais aussi de Rebecca Digne, ou encore de Massimo Fusco. Pour Disnovation.org, tout comme Mark Etc, produire les imaginaires d’un monde à venir, celui de la décroissance, c’est déjà œuvrer à un autre futur, grâce au pouvoir des images, à la force des représentations.
Enfin, la relation entre corps et espaces. Pauline Brun, Jonas Chéreau, entre autres, l’interrogent sur scène ; Charlotte Perrin et Hélène Bellenger, réunies par la pratique de la collecte et du détournement, questionnent un rapport à l’espace physique (l’habitat), psychique et numérique (les réseaux sociaux), entre formes et images, avec l’exposition Plaisir solide au printemps 2021. Mathilde Monfreux nous invite à une performance participative à partir du toucher ; Alix Denambride & Emmanuel Vigier initient une recherche sur la Cours d’Assise comme espace de représentation, de mise en scène. Enfin, la joie, la célébration de la vie amèneront Charlotte Vitaioli à travailler à un projet de banquet et le duo Voogt à mener au 3 bis f une quête sur le bonheur et le bien-être.
« Le corps n’est pas une chose, il est une situation : c’est notre prise sur le monde et l’esquisse de nos projets » : l’appropriation politique et culturelle du corps dans l’espace social évoquée par Simone de Beauvoir en 1949 dans Le Deuxième sexe est puissamment à l’œuvre à travers ces formes artistiques de la relation, qui chacune à leur manière, contribuent à la « recréation de la puissance de penser et d’agir » dont parle Isabelle Stengers (La Sorcellerie capitaliste, 2005).
Puissent tous ces liens nous réunir et nous amener à partager ces expérimentations artistiques au cœur de l’Hôpital. L’art de l’hospitalité, ce sera aussi cette saison au 3 bis f vous inviter à cultiver notre jardin, avec un projet de jardin partagé méditerranéen à construire ensemble, pour prendre soin et faire avec.
Venir comme on est au 3 bis f et faire avec, ce que l’on est ou ce que l’on a à échanger.
Jasmine Lebert,directrice générale, directrice artistique arts vivants
Diane Pigeaudirectrice artistique du centre d’art