ROBIN DECOURCY
Robin Decourcy est auteur, chorégraphe et artiste visuel.
Formé à la Villa Arson et aux Beaux Arts de Mexico, sa pratique in situ s’est modifiée au cours de ses voyages en Asie, en Amérique Latine et de plus en plus en Amérique du Sud. Sa rencontre avec les figures de la Post-Modern Dance, de Fluxus et de la poésie sonore le mène à intégrer des techniques d’improvisation et de partition en temps réel.
Influencé par la scène techno,trad et expérimentale, Robin Decourcy propose par le biais Trek danse dont il est initiateur d’éprouver de nouvelles relations à notre environnement.
CONVERSATION
Distance ?
J’aime changer de focale à l’intérieur de mon travail, pouvoir passer du micro au macro, jouer avec les distances. La distance est ainsi pour moi un outil de paramétrage pour observer et transformer la manière dont on regarde.
Quel événement (artistique, culturel, politique, économique, environnemental…) associes-tu à ton année de naissance ?
Aucun. Je n’ai pas un rapport précis avec les dates. Il m’est arrivé par exemple d’oublier mon anniversaire. Il doit y avoir des raisons sous-jacentes à cela que j’ignore, mais je m’y suis fait et j’aime bien que le moment rituel de l’anniversaire ou de la date soit quelque chose de flou.
Quelle est la genèse du projet ?
Le Trek Danse est né d’une pratique artistique randonnée et dansée. Un événement lié au réel. Le réel augmenté de nos mouvements et de nos présences. Que cela dure quelques heures ou bien une journée, j’amène le public vers des états de conscience modifiés et hypersensibles en collectif. En ville ou bien à la campagne, je fais en sorte qu’il soit le sujet et l’objet de l’œuvre. Je l’amène tout autant à se décentrer pour rentrer en contact avec le non-humain (minéral, végétal, animal). Je vois dans le Trek Danse une forme d’éthologie poétique, de reliance avec le nomadisme, l’errance, voir la marge.
Le Trek Danse s’intéresse pour les prochains mois à la question de la transhumance. Ici, dans cette partie du bassin méditerranéen, nos territoires ont une histoire liée à la pastoralité. Celle-ci remonte au néolithique. Je suis assez sensible à cette résistance nomade des chasseurs-cueilleurs, dont on trouve encore des traces par exemple dans les villages de bories.
Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?
C’est le fruit d’un hasard et d’une rencontre qui s’en doute allait se faire. Je ne suis pas loin, je connais le territoire. Il y aussi l’aspect proprement dit de l’hôpital, d’un public en marge du monde et de la société. Cela est très clairement présent dans mes recherches, à l’intérieur de mon travail. J’y perçois des possibles pour une partition écrite dans ce contexte sensible, pour des rencontres avec une pluralité de personnalités et un plus large partage, tout en questionnant l’urbanisme d’une ville du Sud de la France.
Comment travailles-tu ?
J’ai un rapport poétique au travail. Je pars d’un état d’hypersensibilité que j’identifie au niveau psychique et corporel. À partir de là, vient le choix de la forme pour transmettre cet état, que celle-ci passe par l’expérience individuelle ou collective, la performance, l’objet plastique, l’écriture… Je viens de l’art contemporain, mais la danse et le corps social sont devenus indissociables de cette exploration générique. Avec le temps mes formes se raccordent, se font échos les unes aux autres. Ma constance réside dans la liberté que je m’accorde.
Auparavant, j’étais davantage « pris » dans la dispersion. Puis j’ai compris que la dispersion pouvait se loger dans l’entretien de ce chaos, l’attention à ce chaos. Dans le chamanisme, que j’associe à ma pratique, on parle des maîtres du désordre et de comment maintenir du chaos pour maintenir de la vie. Je travaille de manière plus resserrée aujourd’hui. Peut-être plus que le chaos, je m’attache désormais (dans ma manière de travailler) à paramétrer du réel ou augmenter du réel.
Comment cohabites-tu avec ta folie ?
La folie, je peux en parler de manière concrète. Elle a croisé ma vie et de façon élargie je lui ai ménagé une place dans mon travail. J’ai perdu des proches et je suis allé à la découverte de pratiques communautaires et chamaniques, liées à la thérapie et à la guérison. Je pourrais presque établir un bilan clinique de la folie.
La folie peut-être accompagnée par le soin mais il faudrait aussi une transformation sociale, car très clairement, qui est fou aujourd’hui ? Le monde est fou. Notre urgence, planétaire, c’est de prendre soin. Dans un hôpital psychiatrique on prend soin de hautes sensibilités, mais nous sommes tous là à porter des masques sociaux et construire des carapaces ultrasolides dans des êtres très fragilisés. Redevenir des êtres doués de sensibilité, casser nos armures. Ce pourquoi, j’essaie de bien vivre ma folie, d’accepter ces hauts systèmes de fragilité, négocier avec la société par le biais de la création et transmettre des outils pour faire accepter aux gens leur propre folie.