Anne-Sophie Turion

Autrice, metteuse en scène et performeuse, Anne-Sophie Turion créée des pièces pour la scène et pour l’espace public. De la première personne au récit choral, par le détournement d’objets ou la prise de parole, elle explore l’intime sous toutes ses coutures et décline son appétence pour le vivant et le visuel sous forme d’interventions in situ, d’installations, de performances, de spectacles. Dans la boîte noire ou au grand air, elle s’attaque au réel pour le faire basculer du côté de la fiction. S’emparant avec humour du théâtre ou du cinéma, elle fabrique des récits aux rouages apparents : images spectaculaires et scénarios se construisent à vue, laissant la vraie vie s’incruster de toutes parts. Ses pièces s’attachent aux micros-évènements de la vie de tous les jours aussi bien qu’à ses grandes ruptures. Son travail est largement accompagné et diffusé par des scènes pluridisciplinaires à l’échelle nationale. Elle a été résidente au 3 bis f en 2016 en duo avec Jeanne Moynot et est co-auteure du spectacle Hiku avec Eric Minh Cuong Castaing. Elle est artiste de la Bande du Zef, scène nationale de Marseille. 

Fondée en 2021, la compagnie Grandeur nature est accompagnée par actoral, bureau d’accompagnement d’artistes. Elle porte des projets dans le domaine des arts vivants et des arts visuels : performances, spectacles, interventions in situ, expositions, activités pédagogiques.

• F comme ? 

F comme Fil, mais je triche un peu car je pense en fait à « Sur le fil ».

Ce projet de création nous maintient sur le fil car il repose sur une dramaturgie participative, (c’est-à-dire activée par le public) et ceci induit une forme en perpétuel mouvement. Une forme qui se recompose selon les micro-positionnements, décisions et interprétation de chaque personne. Le public ici n’est pas envisagé comme un tout mais comme un ensemble de perceptions individuelles. « Sur le Fil » donc pour cette création équilibriste, délibérément instable.

• Quelle est la genèse du projet ?

Ce projet est né d’un désir de sonder nos capacités d’attention à l’ère du numérique. Nos outils numériques nous poussent toujours à être un peu ailleurs que là où on est physiquement, ce qui redessine nos présences au monde, aux autres et à notre environnement immédiat. Ce projet a commencé à prendre forme avec cette volonté de remobiliser nos attentions fragilisées, les remobiliser par la poésie de tout ce qui est juste là, du tout petit rien, du micro-détail qu’on ne voit plus, de l’inconnu·e qui se tient assis·e en face de nous et qu’on a oublié de regarder. Nos facultés de l’attention sont indissociables de nos facultés de connexions et de confrontation à l’altérité. On vit dans un monde dit « hyper-connecté », mais de quelle connexion parle-t-on au juste? C’est aussi cela que le spectacle interroge.

• Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?

J’ai ma petite histoire maintenant avec le 3 bis f… depuis quelques années, c’est un lieu que j’affectionne particulièrement. Le 3 bis f c’est un peu la maison.

Quand j’ai commencé à imaginer ce projet, j’ai tout de suite pensé au 3 bis f parce que c’est un lieu où l’on travaille l’altérité dans tout ce qu’elle peut avoir de remuant, déplacant, déroutant. Le 3 bis f est un lieu où l’on peut prendre du recul sur ce qui module nos interactions, comment elles se fabriquent, se fragilisent, s’empêchent ou se renforcent. Ce sont des questions qui remuent profondément ce projet de création.

• Comment travailles-tu ?

Nous travaillons en trio pour la conception et l’écriture avec Loreto Martinez-Troncoso, Elise Simonet et Maya Boquet. Comme le projet est un dispositif participatif, il y a beaucoup d’allers/retours entre l’écriture à la table et la projection de ce qu’il pourrait se passer et puis la confrontation de cette écriture et de ces projections à des groupes, du public en situation. On teste ainsi le projet sur chaque phase de la création.

• Comment cohabites-tu avec ta folie ?

En faisant des projets aussi obsessionnels que moi.

• Un livre, un film, un Podcast avec laquelle tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ? 

Je partage un podcast qui n’est pas lié au projet mais qui m’a énormément touché, et qui m’habite beaucoup en ce moment :

En direct de Ramallah - Carnets de correspondante de Marine Vlahovic.

Cette journaliste donne à entendre à la première personne ce que c’est que d’être correspondante en Palestine. Elle met en jeu de façon pudique mais sans filtre les aberrations du métier et des attentes des chaines d’information, la façon dont son éthique journalistique a été mise en pièce, et arrive par son récit à faire survivre l’échelle humaine et l’amitié dans l’horreur à grande échelle de la guerre.