LÉNA HIRIARTBORDE
Léna Hiriartborde est diplômée de la Haute École des Arts du Rhin en 2015. Elle a vécu et exposé au Chili, puis voyagé en Amazonie colombienne et en Inde, questionnant les rapports des peuples de tradition animiste à leur environnement.
Elle s’installe à Marseille en 2018 et circule en région Sud où elle vit ses passions pour les règnes végétal, minéral et animal qui alimentent sensiblement sa pratique artistique
Distance ?
Entre nous et ce qui est juste là. La distance qui m’intéresse, que je travaille, est mince : c’est celle des plus petits espaces, des interstices. C’est une question d’attitude... Cela pourrait être aussi la distance de l’écoute.
Quel événement (artistique, culturel, politique, économique, environnemental…) associes-tu à ton année de naissance ?
1992 : l’acte de signature du Traité de Maastricht et du début de la construction de la Constitution européenne.
Quelle est la genèse du projet ?
Je travaillerai deux projets au 3 bis f. Le premier est celui d’un film expérimental à partir de la nouvelle de George Sand Voyage dans le cristal. Le deuxième est l’édition d’un jeu de cartes un peu particulier.
En pensant aux plantes, aux animaux, et à tout ce qui nous entoure, je me disais que nous réfléchissions de plus en plus à partager l’environnement avec les « vivants », animaux ou végétaux, en omettant la roche, pourtant omniprésente. Je me suis demandé si à l’origine, nous ne venions pas des pierres, nous qui les considérons comme « inertes ». À ce propos, le livre Infravies de Thomas Heams donne un point de vue intéressant.
Or, j’ai toujours beaucoup, beaucoup aimé les cailloux. Il y a longtemps, j’étais persuadé qu’il serait possible de les faire chanter en captant un champ magnétique qui les traverse. Puis un jour je suis tombé sur ce livre de George Sand, Voyage dans le cristal. J’ai adoré le titre. Et j’ai trouvé que la structure du récit serait une très bonne base pour aborder des intuitions qui parfois frisent l’élucubration : une quête fantastique alternant avec des retours fréquents à la réalité. De là est née l’idée d’une adaptation cinématographique, autour des relations que nous entretenons avec le minéral, sous différents angles et en naviguant dans différentes échelles.
L’épopée est fantastique et engagée. On sent clairement les inclinaisons féministes et écologiques de G. Sand, son ton railleur envers l’homme et sa manie de vouloir tout dominer ou posséder. Elle dit « La nature travaille mieux que les fées » : il s’agit d’un rapport à la nature qui n’est pas fantasmé mais accepte que la nature soit fantastique. Cet aspect de l’environnement et du merveilleux est pensé comme un refuge qui permet aussi de faire naître d’autres formes de réalité.
Le Voyage au centre de la terre de Jules Verne paraît six mois après et présente de curieuses ressemblances, notamment la situation initiale et plusieurs descriptions, comme la scène où les personnages se retrouvent dans une géode quartz. C’est donc aussi ici un moyen de remettre à l’honneur le récit de la femme écrivain...
Le deuxième projet est un projet d’édition d’un jeu de cartes de la taille d’un grand smartphone. Les images et les textes sont en lien avec une personne, un de mes proches qui a disparu. J’entretiens en quelque sorte une relation avec cette personne décédée. Le projet explore nos échanges après sa mort et à la mort en général, à l’acceptation de la magie, de ce qui peut naître. Nous avons un rapport à l’invisible très dur en Occident, il ne fait pas partie des croyances dans nos sociétés. Avoir rencontré une autre manière de voir les choses m’a en quelque sorte sauvée et ouvert des horizons jusque là inconnus. Des situations en lien avec l’énergie de cette personne, qui vivait des crises de délires, continuent à vivre, entre autres, avec des pierres. Des pierres offertes, des pierres trouvées à des moments particuliers, des gens rencontrés sur mon chemin.
Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?
Pour ce que porte ce lieu en termes de mise en lien très fort de mondes qui s’entrecroisent, qui se touchent : l’urbain et la campagne, les gens qui circulent à l’intérieur. Avec le projet de film, je vais expérimenter quelque chose de l’ordre de la circulation entre le réel et le fantasme, entre différents registres. Expérimenter et partager.
Comment travailles-tu / travaillez-vous ?
Je pars du réel, d’une attention particulière à un contexte et à des circonstances, une ouverture aux rencontres et présences, pour me mettre en recherche. Et tisser des liens autour de ces espaces et rencontres. La base de ce processus serait la volonté de se faire travailler par l’environnement, par les sujets, en être imprégnée. Il s’agit souvent d’une sensibilité partagée avec le lieu, d’une relation de complicité instaurée. Souvent, j’aime partager une expérience avec un groupe de spectateurs ou de protagonistes, de participants. Ce sera le cas pour le film. Ce projet rejoint aussi une dimension de recherche sur le long terme que j’aborde de manière quasi-scientifique, méthodique, un peu comme un projet de thèse.
Comment cohabites-tu avec ta folie ?
On est toutes et tous un peu fou. On a nos dérives qui sont aussi nos personnalités. La folie, c’est la personnalité, de manière plus ou moins contenue. La mienne, j’essaye de la rendre douce, d’y trouver de la joie aussi, quand on bascule d’un état à l’autre, d’une réalité à l’autre. Depuis très jeune, je suis fascinée par l’inquiétante étrangeté, ce qui nous fait survivre, vivre avec intensité et, en même temps, difficultés. J’essaye de trouver le bon dosage.