Un centre d’art et une fabrique des arts vivants dans un espace d’hospitalités

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CYNTHIA LEFEBVRE

Résidence de création | octobre 2022 > février 2023  
Cynthia Lefebvre, Jardin sec ©ADAGP Paris 2022

Initialement formée à la céramique et à la culture chorégraphique, Cynthia Lefebvre, née en 1989 est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA). À la croisée des arts visuels et de pratiques performatives, elle travaille notamment avec les danseuses-chorégraphes Anna Massoni, Sonia Garcia et Emmanuelle Huynh.

CONVERSATION 
janvier 2023 


F comme ? 
J’allais dire féminismes, non pas avec un grand F mais un grand S. Mais quitte à être plurielle, je préfère une liste de ce qui m’habite en « F » ces temps-ci : Fluides, Force, Fatigue, Fausse couche, Fluoxétine, Figures, Fond, Formes, Fécond, Flexion, Fœtus, Fémur, Fausses côtes, Fibula, Faible, Fluctuant, Fantômes, Faux départs.


Quelle est la genèse du projet ? 

De manière générale, mon travail fait lien entre corps et formes abstraites. Cela m’amène à des va et vient entre le dedans et le dehors, le visible et l’invisible. Je tourne toujours autour des mêmes questions, des mêmes obsessions. Seulement, chaque fois je les creuse un peu différemment, je prends un autre axe.

Pour le 3bisf, il s’agit d’un axe ostéologique, qui m’amène à m’intéresser autant à l’anatomie qu’à l’anthropologie, à la médecine qu’à l’archéologie. Il s’agit à la fois d’une mise en formes et d’une mise en mouvements autour des os, avec tout ce qu’ils comportent de variations, de gestes, de rituels.

Avec ces os, qui sont en temps normal invisibles à nos yeux, je souhaite justement rendre visible.


L’origine de cette recherche est un projet de sculptures à activer sur lequel j’avais commencé à travailler il y a 2 ans, alors que j’étais en résidence à Marseille. À l’époque, je m’intéressais à la marche et j’avais reproduit les os d’un pied en céramique de manière à pouvoir les articuler / désarticuler avec des ficelles. On peut dire que c’est le point de départ du projet que je développe actuellement.

À l’invitation du 3bisf pour cette exposition, j’ai eu envie de faire un grand plongeon dans le très profond du corps. D’aller gratter jusqu’à l’os si l’on peut dire. D’observer minutieusement cette structure interne qui est la nôtre, la manière dont nos os s’emboîtent, leurs articulations, leurs formes absolument dingues, d’apprendre leurs noms, leur origine, ce dont ils sont capables ou incapables. Voilà, ça commence comme ça Peine perdue, pieds retrouvés : par un long travail de documentation, d’observation puis de modelage en argile de ces os.


C’est aussi un projet qui est né, comme le titre peut le laisser entendre, au milieu d’un moment de vie douloureux de deuil, d’abandon, de pertes. J’ai souhaité accepter que cette page de vie infuse sur mon travail, en regardant et en traversant cette période d’instabilité pour qu’elle soit aussi une possibilité de laisser advenir des figures, des images, pour que quelque chose se dépose de cette expérience humaine.

La genèse de ce projet c’est donc aussi une zone de fragilité. Et le corps me semblait le bon moyen pour l’aborder.


Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ? 

Parce que son lien au soin qui ne pouvait que me parler de par le lien de mon travail aux équilibres précaires, à ce qui peut faire socle, étais, soutien. Lorsque j’ai visité pour la première fois le 3 bis f, il y a eu pour moi des résonances familières qui sont allées chercher dans l’intime mais qui ont aussi fait écho au rapport que le corps entretient avec l’espace dans mon travail. Ici, le rapport au corps est très particulier, il est inscrit jusque dans la courbure des murs, dans les lignes tracées au sol pour délimiter les aires de chacune, dans les tours de clés qui rythment la traversée des pièces. J’ai été saisie par la manière dont l’espace a été pensé pour y contenir à la fois le corps et la psyché.


En découvrant petit à petit les bâtiments et leur histoire, y parler de corps qui font avec l’accueil, le deuil, la perte, les débordements et le vide m’a paru faire sens assez vite. Avec tout le vertige que cela comporte…


Le 3 bis f est aussi un lieu qui fait particulièrement sens pour moi de par sa double casquette arts visuels / spectacle vivant. Mon travail se situe justement à une frontière volontairement floue entre ces deux terrains voisins. Pour Peine perdue, pieds retrouvés je suis accompagnée de près par les danseuses-chorégraphes Anna Massoni et Ola Maciejewska. Elles activeront les œuvres en céramique lors de plusieurs performances au cours de l’exposition. Mais elles nourrissent surtout le travail sur le long terme de manière plus diffuse.

Le 3 bis f offre la possibilité de confronter nos manières de mettre en formes et en mouvement ces os, en dépassant le cadre « danse » ou « exposition » pour simplement nous retrouver au travail, avec les intérêts communs qui nous lient. Ces occasions sont rares car elles demandent un temps long de recherche et de création et donc un accompagnement spécifique. Alors merci, c’est précieux !


Comment travailles-tu ? 

À la fois très seule, et très entourée.

J’alterne entre des temps de travail en solitaire à l’atelier, en bibliothèque, au musée ; et des temps de recherche collective ou de production accompagnée, quand je travaille avec Anna et Ola à la partie performative du projet notamment, avec la cinéaste Margaux Vendassi, ou encore avec l’artiste Jérôme de Vienne qui travaille avec moi à la réalisation d’une structure conçue spécifiquement pour l’espace d’exposition du 3bisf. Ce projet de longue haleine m’a également amené à de riches échanges avec les conservateurs de collections anatomiques, des ostéopathes, médecins psychiatres, archivistes, archéologues.


Peine perdue, pieds retrouvés passe par plusieurs étapes : de la création des premiers objets en céramique à leur activation par les danseuses, leur mise en espace, mais aussi un projet de film et d’édition. Le modelage des pièces en argile et leur cuisson est un travail long et assez classique en termes de technique. Pour cela, je suis seule avec la matière à l’atelier, j’observe la manière dont les os absorbent la lumière, les creux, les lignes qu’ils dessinent. Je me trompe, je corrige, j’essaie de m’approcher de cette structure vivante.

Et en parallèle, j’avance sur l’écriture de la partition pour os avec Anna et Ola.


À côté de cette recherche ostéologique, je travaille également depuis plusieurs mois sur un autre projet à figures et dimensions variables qui se nomme Les os lourdes. Il y a « os » dans le titre mais ça ne génère pas des os cette fois-ci ! Plutôt des grosses masses blanches de plâtre. Le protocole des Os lourdes se situe quelque part entre sculpture et performance : il s’agit d’une pratique collective qui opère dans les rivières, les cours d’eau et les courants fluviaux…quand ils ne sont pas à sec. Les os lourdes est une sorte d’enquête continue qui scanne les creux et agite les vides, pour des corps mi-liquides/mi-solides, mi-os/mi-eau, mi-passifs/mi-actifs. Les formes en plâtre y sont des intermédiaires, des modes de connexion. Cinq jeunes artistes m’accompagnent dans cette aventure : Anatole Chartier, Diane Chéry, Noémie Clochard, Clara Félix Heuser et Sarah Laaroussi. C’est une pratique que je partage également avec les services de soins psychiatriques ambulatoires aux détenus de Luynes et Salon-de-Provence dans le cadre de ma résidence au 3bisf ; et que je partagerai en mars avec les étudiant.e.s de l’ESAAIX. Une forme éditoriale de ce projet trouvera probablement une place dans l’exposition à venir.



Comment cohabites-tu avec la folie ? 

C’est une partenaire de vie.

J’ai grandi dans une maison où la folie faisait en quelque sorte partie des murs. Sauf qu’on n’appelait pas ça comme ça. Enfant je disais « une maman triste », « une maman fatiguée, abîmée », « une maman qui nous aime » ; adolescente, « un frère en détresse » ; adulte, #Metoo m’a rappelé qu’une famille incestueuse c’était encore une autre forme de folie ; et puis, folle-amoureuse, j’ai essayé d’accueillir comme je pouvais.

C’est sans doute ce qui explique qu’il y a toujours eu pour moi beaucoup d’amour dans la folie, et inversement.


Aussi « familière » qu’elle soit, j’ai toujours eu l’impression d’être maladroite avec la folie, mais peut-être qu’elle nous demande justement tout sauf d’être (a)droit. Qu’elle est belle quand on accepte ses mouvements.


En tout cas, oui, je co-habite…

Mais je ne sais pourtant toujours pas bien ce que c’est la folie. Sauf qu’elle a besoin des mots. Car derrière l’image délirante et bruyante qu’on lui colle, elle génère surtout à mon sens trop souvent beaucoup de silences.


J’essaie désormais de faire avec la folie comme on peut faire avec la lumière : on baigne dedans, on y trouve sa part d’ombre, elle disparaît, elle revient. Je crois que j’aime bien l’image de la folie comme une peau impalpable que l’on partage. Que je partage en tout cas.


Les années passant, je réalise aujourd’hui qu’être une femme, artiste et élever seule sa fille depuis 15 ans c’est également une belle manière de cohabiter avec la folie ! Une aventure magnifiquement folle qui rend forte.


Ton refuge ? 

45°00'30.24"N 5°35'9.009"E, avec un dernier F pour ma fille.

PEINE PERDUE, PIEDS RETROUVÉS
Exposition | 4 février > 6 mai 2023 | fermeture du 20 au 26 février & du 24 au 30 avril
Arts visuels
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BONES SCORES
vendredi 3 février à 20h | Parallèle 13 - samedi 4 février à 12h | vernissage au 3 bis f - samedi 6 mai à 14h30, 15h30, 16h30 | Printemps de l'Art Contemporain
Performance
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